Nouveau départ - Première partie
Rappel du thème :
C'est le dernier jour sur terre. Vous n'avez plus que quatre heures à vivre.
La technologie ne marche plus.
Que faites-vous ?
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Nouveau départ
À mes proches
Nous sommes un jeudi et l’électricité vient de se couper.
Je n’aimais pas trop les jeudis, c’étaient des journées très chargées, du temps de ma vie. Je suis vivant et je parle déjà de ma vie au passé parce que c’est inévitable, dans quatre heures une planète à la dérive va s’écraser sur la terre. Les informations ne parlaient que de cette catastrophe avant que toutes les télévisions ne se coupent. La fin d’internet, et du téléphone aussi. Il faut dire qu’avec la poussée dans l’espace de cette planète, tous les satellites ont décroché de leur orbite.
Il est seize heures et à vingt heures tout sera fini. Les quatre dernières heures de l’humanité, les quatre dernières heures de mon univers.
Nous sommes en hiver et nous traversons un mois de décembre glacial. Dans deux heures, le soleil emportera avec lui toute lumière sur la planète. A l’heure qu’il est, certains continents ont déjà sombré dans l’obscurité.
Pas de fuite possible dans mon existence plutôt paisible. A l’annonce de la catastrophe bien des milliardaires ont pris part dans des fusées affrétées par la NASA. Pour aller où ? Pour combien de temps ? Pour retrouver une terre dévastée à leur retour, sans plus personne pour la faire vivre ?
Non je ne suis pas riche, mais de cette vie à des seules fins matérielles je n’en faisais quête.
Mais moi je connais un refuge bien plus précieux que ces fausses protections. Un refuge où l’or et les choses ne servent pas à combler la solitude.
Ce refuge c’est l’amour bien sûr, l’amour de mes enfants. J’en avais seul la garde ce soir, en l’absence de mon épouse, dans notre maison loin des villes. Ils sont dans leur chambre, au premier étage, inconscients de la situation.
Je les entends se chamailler et se battre parce que l’un semble avoir caché les affaires de l’autre. Comme tout un chacun, ils n’accordent de l’importance qu’à leurs soucis. Mais il faut dire que c’est bien de leur âge. Je leur pardonne déjà.
D’un pas résigné je m’en vais de ce pas leur confirmer le destin dramatique qui attend ce soir toute l’humanité.
Les escaliers ne craquent plus cette fois-ci. Comme si le silence de l’Eternel s’était déjà invité à la maison. La porte est ouverte, la dispute cesse, les enfants ont vu mon ombre. Parfois ils savent bien faire semblant d’être sages.
- Papa, pourquoi on a plus de télé ? Me demande ma fille Augustine.
- Je vais rater Chica Vampiro, poursuit-elle.
- C’est toi qui as cassé la console Augustine ? S’en plaint aussitôt son frère Jules.
D’un ton grave, qu’ils me connaissent rarement, je les informe du péril imminent et réel qui nous attend tous ce soir, dans un peu moins de quatre heures, après la coupure d’électricité planétaire.
- Les enfants, à vingt heures ce soir, toute l’humanité aura fini son existence. Plus personne ne sera vivant. Ni vous, ni moi, ni votre maman et tous ceux qu’il vous restait à connaître à l’avenir. Quand plus aucun appareil ne fonctionnerait, les scientifiques nous prédisaient une espérance de vie de quatre heures. Dans trois heures déjà, une planète d’un autre système solaire va s’abattre sur nous. Notre planète est parvenue à polluer l’espace et tout le monde s’y attendait. On va en payer le prix fort tout à l’heure. La planète qui nous menace est dix fois plus grosse que notre petite terre. Notre centre du monde qu’on imaginait si grand…
- Comme quand mon calo dégomme tes billes Augustine ? S’en amuse déjà son frère.
- Papa ne plaisante pas Jules, lui répond sa sœur d’un air meurtri.
Ma fille, qui me connait par cœur, sait quand je dis vrai au milieu de toutes les blagues étranges que j’avais pour habitude de lui faire. Elle en persuade son frère dont les yeux commencent déjà à briller de douleur, jusqu’au moment où ils finissent par se fondre dans l’obscurité qui vient de gagner la maison.
- Le jour s’est couché les enfants, nous ne verrons plus jamais la lumière. Je vais vous donner une dernière fois celle qui anime mon cœur au cours des deux dernières heures qu’il nous reste à vivre. On ne va pas s’exprimer tous nos regrets, on va se dire ce qu’on a reçu de plus beau dans la vie, comment elle a grandi nos âmes.
L’obscurité complète s’est invitée dans ce dernier moment familial.
- Ça va nous faire mal ? Commence à chuchoter Augustine.
- Je pense qu’on n’aura pas le temps de s’en rendre compte, je préfère lui murmurer.
Le chef de famille que je suis doit prendre l’initiative du dernier discours, de la dernière conclusion à nos vies si peu remplies d’essentiel, trop polluées d’angoisses, de rancœurs et de regrets. Alors je prends la parole en ces termes :
« Les enfants, vous savez, je n’ai pas toujours été sage. Ni enfant, ni plus tard. C’est juste mes bêtises qui ont changé avec les années. Néanmoins j’ai pu comprendre des choses. Les bêtises que j’ai pu faire, d’autres les ont faites avant moi. Etant donné que vous n’aurez malheureusement plus le temps de les faire à votre tour, je vais vous donner d’avance la leçon qu’il faudra en retenir, en espérant qu’elle vous serve, peut-être ailleurs... En réalité ce sont des leçons de vie qui se répètent à chaque époque, comme si notre éventuel Dieu voulait à chaque fois tester ses nouveaux arrivants, pour qu’ils ne sombrent pas dans la guerre, l’amour du pouvoir ou qu’ils cessent de de vouloir toujours plus influencer les libertés des autres. Aujourd’hui, même celui-ci semble avoir jeté l’éponge en renonçant à ses projets de paix dans un monde de civilisation qui n’en portait que le nom.
Quoiqu’il en soit, mon existence m’aura principalement appris deux choses. Il faut en effet savoir apprécier davantage ce que l’on a, plutôt que de toujours regretter ce qui nous a manqué. Enfin, et c’est de loin le principal, il faut davantage s’attacher à ce que l’on est, plutôt qu’à ce que l’on a.
Vous êtes ma plus belle richesse mes enfants, vous étiez le bonheur qui sommeillait juste devant moi, pas utile de regarder plus loin. J’en avais des choses à vous apprendre mais j’ai tenu ce soir à vous exprimer l’essentiel dans ce temps qui nous échappe. »
J’ai déjà trop parlé dans cette obscurité saisissante de vérité pour masquer ma peur intense que nous soyons tous attendus dans la solitude de l’éternité.
Il nous reste peut-être une heure trente à exister dans ce noir, définitivement privés de nos visages. Nous avons déjà perdu tous points de repère...
A suivre dans la newsletter du 21 juin