Le père Noel anonyme
Nouvelle écrite par Vanessa Vasseur, formatrice et coach, à retrouver sur la page Facebook : Existens'ailes
24 décembre…
Qui peut ignorer ce qui se cache derrière cette date du calendrier ? Personne. C'est bien sûr le réveillon de Noël, qui se prépare depuis plusieurs jours, voire quelques semaines, un peu partout sur la planète. Il n'y a qu'à voir l'effervescence dans les magasins, comme une ruée vers l'or pour trouver le cadeau "parfait", pour comprendre l'importance de cette soirée. C'est une fête dont toutes les grandes marques de ce monde se sont emparées, transformant petit à petit les valeurs humanistes de Noël en une grande mascarade commerciale, excluant d'office les plus démunis... et les âmes esseulées.
Ce jour-là, comme les précédents, Lorine est allée travailler. Quel ennui ! A cette période, les clients ne se soucient pas vraiment de leur compte en banque. Ils préfèrent profiter du moment, et dépenser sans compter dans les commerces alentours, pour festoyer ensuite autour d'un gargantuesque repas. Peu ressentent une soudaine envie de prendre un rendez-vous avec leur conseiller bancaire. De toute manière, l'équipe est réduite au minimum. Fidèle au poste, Lorine avait choisi de rester. Il règne une atmosphère étrangement calme dans les locaux. L'agence ferme plus tôt aujourd'hui. Elle sent ses rares collègues pressés de rejoindre leurs familles respectives.
Lorine, pour la première fois, a décidé de rester seule chez elle ce soir, dans son appartement d'une trentaine de mètres carrés. Elle n’est pas célibataire par choix… malheureusement, sentimentalement, elle ne fait qu’enchaîner déception sur déception. Pourtant elle ne perd pas espoir. Il finira bien par sonner à sa porte, le prince charmant qu'elle attend avec tant de ferveur.
Malgré sa solitude, elle a choisi de ne pas passer le réveillon chez ses parents. Elle ira les voir pour le déjeuner de noël, et cela sera amplement suffisant. Chaque année, le réveillon se passait à se disputer pour des futilités, parce que les noix de saint jacques étaient trop cuites, ou parce que sa mère accusait son père de ne rien faire d'autre que de déboucher la bouteille de vin. Ou sinon, dans le meilleur des cas, ils se complaisaient dans des sourires polis, dans une ambiance où le poids du silence gêné alternait avec des discussions autour de la pluie et du beau temps.
Lorine est bien loin de l'image des Noëls animés et joyeux dont elle rêve depuis sa plus tendre enfance. Alors cette année, elle avait admis que l'union et le partage avec sa famille resteraient un rêve inachevé, et elle allait célébrer le réveillon de Noël toute seule, ne s'en plaignant pas une seule seconde.
Pourtant, elle n’était pas particulièrement solitaire. Elle était entourée de nombreux amis avec qui elle sortait régulièrement. Mais, ce soir, ils seraient tous en famille, et personne n'avait pensé à l'inviter. Partager, oui, mais dans le cercle intime de son propre foyer seulement. Elle sentait bien que chaque famille était cloisonnée, et qu'elle ne pourrait trouver sa place dans aucune d'entre elles. Elle serait bien plus à l’aise avec sa bouteille de champagne et son plateau de canapés, à regarder son film favori de Noël : Maman, j'ai raté l'avion, blottie sous sa couette.
Elle préfère ne pas penser à ce qui peut la rendre triste… Ce soir-là, elle ne déballera aucun cadeau.
Et surtout, ce soir-là, personne ne lui souhaitera un joyeux Noël...
Alors, quand, au beau milieu de la soirée, la sonnette retentit, elle ne sait plus très bien si c'est l'effet du champagne ou la réalité. Mais qui peut donc sonner à cette heure-ci ? Ses parents ? Ils n’auraient jamais l’idée d’une telle surprise. Ses amis ? Ils doivent être tous bien occupés en ce moment. Non vraiment, elle ne voit pas qui peut venir lui rendre visite un soir pareil. A part un voisin qui aurait besoin d'un peu de sel ou de beurre, franchement, elle ne voit pas. C'est donc très perplexe qu'elle va timidement ouvrir sa porte.
Celle-ci laisse apparaître un jeune homme, plutôt beau, qui tient entre ses mains un paquet de Noël accompagné d'une enveloppe. Tout y est, le papier cadeau rouge brillant, et le ruban torsadé couleur or. A-t-elle bu trop d’alcool ? Il ne lui semble pourtant pas avoir commencé une deuxième bouteille. Avec un franc sourire, il la regarde, et lui dit :
- Tenez, c'est pour vous. Joyeux Noël.
Interdite, elle reste muette et figée. Ce parfait inconnu vient lui offrir un cadeau ? C’est une blague ? Ses mains tremblent, ses pensées se mettent à divaguer. Elle est très méfiante et ne sait pas quoi faire. D'un côté, elle est tentée d'accepter le cadeau qu'il lui tend. Et si la magie de Noël était en train de frapper à sa porte ? Pour ne rien gâcher, l'homme qui se tient sur le pas de la porte semble fort sympathique. Elle pourrait le questionner sur sa démarche, discuter un peu avec lui, voire l'inviter à entrer. Mais elle se ravise aussitôt. Non, il faut être cinglé pour avoir l'idée de sonner à l'appartement d'une femme seule, un soir de Noël, avec un soi-disant cadeau en mains. Et si c'était un terroriste ? L’idée emballe son cœur un peu plus : l'année qui vient de s’écouler a été un vrai désastre. Les attentats n'ont cessé de se succéder partout dans le monde. Lorine, comme tant d'autres, est encore très affectée. La peur, voire le rejet de l'autre, s’est soudainement renforcée. Plus personne n'a confiance en son prochain. Chacun se réfugie dans un égoïsme décuplé. Lorine essaye tant bien que mal de rester en dehors de tout ça. Mais elle a beau faire de la résistance, elle n'en est pas moins humaine, et touchée malgré elle par le climat actuel. Alors, même si elle s'en veut de penser ça, elle ne peut s'empêcher de craindre que ce paquet cadeau, si séduisant soit-il, contient peut-être une bombe. Que sa vie va peut-être brutalement prendre fin comme ça, ici, sur le seuil de sa porte, dans son pyjama Snoopy, avec des chaussons à tête de vache.
Ne sachant laquelle de ces deux voix intérieures écouter, les mots ne parviennent pas à sortir de sa bouche. L'expression chaleureuse de son visiteur ne suffit pas à la rassurer. Malgré tout, elle finit par saisir le cadeau, et bredouiller un merci à peine audible, les yeux baissés, la voix chevrotante.
Et vite, très vite, elle referme la porte.
Toujours sous le coup de l'émotion, elle lit l'inscription manuscrite sur l'enveloppe : CARTE A LIRE IMPÉRATIVEMENT AVANT DE DÉBALLER LE CADEAU. Lorine est déçue : piquée par la curiosité, elle était impatiente de défaire le nœud du ruban et de déchirer le papier cadeau. Délicatement, elle retire donc la carte de l'enveloppe et découvre le message suivant :
"Ce cadeau n'est pas pour toi. Ta mission, le redistribuer à un autre inconnu. Joyeux Noël".
La carte est signée : Le père Noël anonyme
Elle relit la carte au moins trois fois. Pourtant, le texte n'est ni long, ni difficile à comprendre, mais elle n'en croit pas ses yeux. Des larmes commencent à couler le long de ses joues. Tout cela n'est qu'une mauvaise blague. Elle a été stupide de croire en cette fichue magie de Noël. Elle a envie de se resservir une coupe de champagne… Et zut, voilà que la bouteille était vide. Elle ne va quand même pas en ouvrir une deuxième pour oublier cet inconnu qui a voulu se payer sa tête un soir de Noël ?
Elle décide de sécher ses larmes, de faire comme si rien ne s'était passé, et reprend son film où elle l'avait laissé. Mais malgré tous ses efforts pour se concentrer sur la suite des aventures de Kevin, son regard et ses pensées ne cessent de se porter sur le cadeau intact. Doit-elle l'ouvrir ? Après tout, est-ce si grave si elle ne respecte pas l'inscription ? Cela fait bien longtemps qu'elle ne croit plus au père Noël. Alors un père Noël anonyme ? N'en parlons pas !
Pourtant… Lorine est une jeune femme plutôt sérieuse et consciencieuse, qui ne brave que très rarement les interdits. Les minutes passent, elle a l'esprit complètement chamboulé. C'est désormais une certitude, ce réveillon de Noël a pris un tournant tout à fait imprévu. Elle ne peut plus l'ignorer. Au bout d'un moment, elle craque. Elle appuie sur le bouton stop de sa télécommande, se change rapidement pour enfiler un jean et un pull. Elle met ses chaussures, attrape son manteau, et prend le paquet avec l'enveloppe. Après tout, ce n'est pas comme si elle abandonnait quelqu'un pour aller se promener dans les rues. Elle n'a même pas d'animaux pour lui tenir compagnie ! Et puis... elle ne voulait pas se l'avouer jusque là, mais ce jeu l'intrigue au plus haut point.
En ouvrant la porte, elle est surprise de découvrir un petit bout de papier coincé sous la porte. Elle se penche pour lire :
Adrien 0617253648
Humm... ce beau jeune homme s'appelle donc Adrien. Si c’est un plan drague, c’est plutôt original. Elle glisse le papier dans sa poche et s'élance à travers la ville enneigée. Cela fait plusieurs années que les Noëls sont très doux et pluvieux, ce qui ne manque pas de la décevoir. Mais cette année, c'est différent. Enfin, il neige. Plus elle marche à travers la ville, plus elle est prise d'une énergie indescriptible, comme si ses pieds avançaient d'eux-mêmes. Elle n'a aucune idée d'où aller. Elle se laisse guider par cette force extérieure, lui donnant même envie de sourire aux rares personnes qu'elle croise, et de chantonner Let it snow dans la grande majorité des rues désertes qu'elle traverse.
Tout d'un coup, elle s'arrête devant une maison. Elle ne saura jamais pourquoi ses pas l'ont poussé jusqu’à cette maison, et ni celle d'avant, ni celle d'après. Elle sonne à la porte, et la chaine du père Noël anonyme continue…
Ce soir là, ce cadeau fit le tour de la région.
Une dizaine d’entre eux celui de plusieurs pays…
Et plusieurs centaines, le tour du monde…
Ils ont rapproché des milliers d'êtres humains, réunis par le simple plaisir de donner. Des hommes et des femmes, qui, depuis cette nuit-là, apprirent à faire confiance et partager.
De retour chez elle, Lorine avait composé le numéro d'Adrien. Ils avaient longtemps discuté cette nuit-là, apprenant à se connaître.
Ils s’étaient revus peu de temps après, débutant une belle histoire d'amour...
Lorine avait compris que la magie de Noël, c'était avant tout de donner. Elle avait aussi compris que lorsque l'on donnait, on finissait toujours par recevoir, et parfois même ce que l’on attendait plus vraiment…
THE END